Soraï remua vaguement dans ses draps. Il faisait chaud ici, ça finirait par l'étouffer. Sa tête finit par émerger de cet amas noir. Il faudrait les changer, jamais elle ne survivrait là dessous en été. Elle ouvrit ses yeux d'améthyste, les tourna vers le réveil. Un réveil classique avec un chat noir allongé dessus. Une décoration, naturellement. Six heures, elle avait le temps. Mais difficile de se lever. Cependant, le sommeil ne lui reviendrait pas. L'adolescente sortit donc du lit à regret et se traîna jusqu'à la salle de bain. Le seul moyen de la réveiller totalement, c'était une douche glacée. Elle se résigna à en prendre une, se savonna et sortit aussi frigorifiée que réveillée. Tremblante, elle s'habilla d'un jean et un haut à bretelles noir. Il ne faisait pas froid maintenant que les cerisiers portaient leurs fleurs, alors pas la peine de prendre des pulls. Cependant la lycéenne prit tout de même sa sempiternelle veste rouge et blanche mais sans le nœud papillon pour se couvrir. Des chaussures simples, de couleur blanche. La solitaire fit son sac en vitesse et sortit de sa chambre. Un sac comme un échiquier rouge et noir, cadeau de Katia. Ses affaires de cours s'y trouvaient, plutôt légères. Ce n'était pas grand chose. Classeurs et livres de français et d'histoire, trousse, cahier de texte, carnet à dessins et sa flûte argentée. Arrivée dans la cuisine elle déposa le sac à dos par terre et sortit un croissant et du jus de fruits. Maigre petit déjeuner, mais elle n'avait absolument pas faim. Il fallait dire que les évènement de l'avant-veille lui avaient grandement coupé l'appétit. Elle avait l'impression d'avoir encore du sang sur ses mains. La ténébreuse fut parcourue d'un tremblement. Elle alla laver son verre et son assiette puis sortit. Fermant la porte de l'appartement, elle rangea la clé dans sa poche et descendit, mais par les escaliers. En fait l'assassine n'avait pas pu s'empêcher de créer l'illusion d'ailes dans son dos avant de réellement les matérialiser. De grandes ailes noires. Ça l'éclatait de voler. Les ailes disparurent une fois qu'elle toucha terre. Elle ne tenait pas à ce qu'on le sache, et puis à cette heure ci l'immeuble, et surtout les escaliers, étaient déserts.

Les cours commenceraient bientôt à présent. Soraï avait longuement marché, étant partie à pied. Elle s'assit dans un coin de la cour pour dessiner vaguement un personnage manga en attendant la sonnerie. Ça ne tarda pas, et bientôt le cours de français commença. La prof était sympa, énergique mais s'énervait rapidement. Mieux valait ne pas la titiller. Aussi l'adolescente se garda bien de le faire. Non, en fait, ayant une mémoire auditive, elle écoutait ce qui se disait et esquissait des chats noirs / ailés/ à trois queues / avec des accessoires sur la marge de sa feuille. Ennui profond obligeait. Lorsque la prof passait dans les rangs, elle prenait un certain plaisir à faire apparaître l'illusion de l'absence de dessins. La classe était plutôt nombreuse, aussi la personne à côté d'elle pouvait voir les dessins. Mais cette personne semblait s'en désintéresser totalement. Bonne nouvelle. Malgré son air soupçonneux la prof ne dit rien. Tant mieux. Ayant horreur de l'autorité la lycéenne n'aurait certainement pas hésité à lui tenir tête. S'écraser ? Elle trouvait ça ridicule, les adultes n'étaient pas plus importants qu'eux après tout. Enfin, la sonnerie. Récréation, et deux heures d'histoire après. Quel programme pourri. Mais bon, ils avaient eu arts plastiques avant de sortir. Le Lundi c'était plutôt léger, restait à voir les jours suivants. A son avis ça allait empirer, mais bon. Autant s'habituer. Évitant la foule d'élèves, la solitaire se mit à la recherche d'un coin d'ombre isolé. Il y avait justement un saule pleureur dans un coin de la cour. Ce serait parfait. Et pour l'instant, il n'abritait personne. Elle marcha donc dans sa direction, tout en continuant son personnage. Les cheveux l'embêtaient, une mèche qu'elle n'arrivait pas à placer plus précisément. Finalement un bruit dans son dos attira son attention. Sans réfléchir, l'illusionniste tourna brusquement la tête. L'une des lames au bout de ses tresses gifla la joue de l'inconnue. Ah, dommage pour elle. Mais ça na la tuerait pas, juste une égratignure.

<< Huw~ Désinfecte, sinon la plaie s'infectera et deviendra purulente. >>

Dit la solitaire, un léger sourire sadique lui était venu au dernier mot de la phrase. Vraiment, ça l'éclatait ! Elle ne pouvait pas s'en empêcher. L'idée de faire souffrir quelqu'un, même sans le vouloir, lui était agréable. Normal, impossible pour elle de se sentir une once coupable. Bien fait après tout, quelle sale manie de marcher juste derrière les gens. Où bien passait-t elle seulement. Au choix. Il y avait une infirmerie quelque part ici, cette personne pourrait se faire soigner. Si sa première rencontre ici était comme ça, alors la suite s'annonçait joyeuse. Mais ça ne la dérangeait pas. Ces stupides personnes ne représentaient rien à ses yeux. Aussi leur avis sur elle lui importait peu. Ils pouvaient toujours se plaindre, ça ne lui ferait aucun effet. Cette fille ne faisait guère exception à la règle. Les gens la dégoûtaient. Ils étaient stupides, naïfs et si susceptibles. Ils ne pensaient qu'à leur petite personne et l'amusement. Surtout l'amusement . Aussi l'orpheline ne chercherait même pas à gagner leur amitié.De toutes façons l'assassine aurait de quoi s'occuper. Elle n'avait besoin que de quelques jours pour reprendre son travail de tueuse à gages.

Cette personne semblait très susceptible. Pire que son interlocutrice. Ah, un être humain différent des autres, où simplement plus pitoyable encore ? A voir, à voir. Il faudrait quelques secondes de plus pour en décider. Mais la seconde solution trottait déjà dans la tête de Soraï . Ah, c'était bon. La deuxième solution lui sauta aux yeux. Bon, elle se désintéresserait donc de cette personne également. Comme de toutes les autres. Elle déchiffra facilement l'expression de cette fille. Oui, les gens étaient si... futiles disons ! Impossible pour eux de cacher leurs émotions. L'assassine, elle, ne les montrait que lorsqu'elle voulait. Elle affichait du mépris actuellement, et voyait bien ce que ressentait l'inconnue .De l'agacement, voire pire. Une haine inconditionnelle et sans raisons. C'était vrai, après tout. Pas la peine de se mettre dans un tel état pour une simple égratignure. Mais le monde était tellement bête, qu'apparemment cette personne ne semblait pas avoir compris. Qui plus est, le sens de l'humour lui manquait cruellement .Eh bien, si elle tenait absolument à vivre en n'étant jamais contente, toujours énervée, c'était son choix. Qu'elle trace sa route. L'adolescente la laisserait s'embourber tranquillement dans la folie. Elle même se trouvait déjà au fond, à tout les coups. Après ce qui lui était arrivé, rien d'étonnant.

Bah, ça te fera quoi ? Tu vivras plus longtemps selon si j'désinfecte ou pas ?

S'énerva la nouvelle venue. L'orpheline ne put retenir un léger rire. Mais non bien-sûr, quelle question stupide. Ça ne lui faisait absolument aucun effet. D'ailleurs, par pur esprit de contradiction, cette fille ne le ferait certainement pas. Eh bien que dire ? Tant pis pour elle. La solitaire attrapa l'une de ses mèches de cheveux tressée, la remonta jusqu'au bout. La pointe d'acier doré y était toujours, et elle restait affreusement coupante. Une arme potentielle si jamais elle se trouvait vraiment dans le pétrin. Elle regarda plus attentivement la pointe. Il y avait une fine couche écarlate dessus. Ce n'était pas du sang, mais du jus d'if. Un poison mortel. Mais cette imbécile avait peu de chances de comprendre. Elle aurait mal pendant une semaine out au moins si elle ne désinfectait pas. Car dans une plaie, l'if provoquait une brûlure désagréable. Avalée, sa baie tuait en une minute. Cette personne ne mourrait pas, quel dommage. De ce fait l'illusionniste haussa les épaules tout en tournant les talons pour se diriger de nouveau vers le saule pleureur. Elle répondit cependant d'une voix moqueuse.

<< C'était pour ta gouverne, stupide créature. Mais tant pis, la plaie restera ouverte et te fera mal au moins jusqu'à Lundi prochain. >>

C'était tout. Soraï plaça finalement la mèche de son personnage. C'était comme si une brise l'emportait. Car il s'agissait d'une fille avec des ailes de papillon. Assise en haut d'une colonne de pierre, elle regardait un vol d'oiseaux passer. Le vent emportait sa longue chevelure, probablement noire à l'avenir. Ce n'était que l'ébauche, mais bientôt elle préciserait les traits et ajouterait de la couleur. Tandis qu'elle réfléchissait, l'adolescente se retrouva finalement à l'ombre de son arbre. Parfait. Elle s'adossa à son tronc, assise dans l'herbe fraîche et continua le dessin. Elle précisait les ailes de son personnage. D'ailleurs, elle se demandait par la même occasion comment réagissait la personne de tout à l'heure. Ses mots achevaient de l'énerver, d'après la solitaire.

{ U.P. ! }